The Red Strings Club : cocktails, poteries transhumanistes et cyberpunk

The Red Strings club est un jeu vidéo sorti en janvier 2018, développé par une petite équipe espagnole, Deconstructeam. C’est un jeu narratif (comme les histoires dont vous êtes le héros !) : lae joueur.e a tout au long de l’aventure plusieurs choix possibles (d’actions, de dialogues…) qui détermineront la suite de l’histoire. Très accessible d’un point de vue du gameplay, ce jeu est une vraie pépite ! Tout en pixel art, avec une bande-son synthétique, on se retrouve propulsé dans un futur dystopique qui interroge sur le transhumanisme, la notion de bonheur et de société idéale.


Tirer les ficelles de la contestation

[Contient des spoilers du jeu] 

Bienvenue au Red Strings Club, un bar rétro, situé au cœur d’une mégalopole du XXIIe siècle. Dès les premières minutes du jeu, on fait la connaissance de Donovan, barman et trafficant d’informations, ainsi que de Brandeis, son coéquipier hacker. L’histoire se déroule dans un futur où plus de la moitié de la population est modifée par des implants et prothèses produits par une mégacorporation, Supercontinent Ltd. Cette dernière est en train de développer un nouvel algorithme pour tous les implants, le Bien-Être psychique généralisé, qui a pour but de limiter les émotions négatives telles que la colère ou la tristesse afin de maximiser le bonheur des individus. 

Brandeis et Donovan suspectent le Bien-Être psychique généralisé d’être un lavage de cerveau, un outils de contrôle de la population. Aidés par Akara, un.e mystérieux.se robot androïde qui s’est échapé.e d’une clinique d’implants , ils vont exercer leurs talents respectifs (le sous-tirage d’informations et le piratage) pour contre-carrer les plans de Supercontinent. 

Au fil de l’aventure, lae joueur.e incarne à tour de rôle Akara, Donovan et Brandeis à travers un ensemble de dialogues et de mini-jeux. Tout commence avec l’arrivée d’Akara, en très mauvais état, au Red Strings Club. Afin de savoir ce qui lui est arrivé.e, Brandeis se connecte à son système : on se retrouve dans une clinique de Supercontinent à modeler de la biomatière pour fabriquer des implants et les installer sur des patients. 

Le plus gros du temps de jeu se déroule avec Donovan, derrière le bar, lors de la préparation de cocktails personnalisés capables de faire parler ses clients… Toute un série de personnages dont des employé.e.s de Supercontinent viendront à tour de rôle au Red Strings Club prendre un verre et divulguer malgré eux des informations au barman. L’histoire continue ainsi jusqu’à l’infiltration de Brandeis dans les locaux de Supercontinent pour saboter le projet Bien-Être psychique général…

Controverses autour d'une innovation

Le cœur du scénario de The Red Strings club est la controverse autour d’une innovation technologique : le Bien-Être psychique généralisé. Ce nouvel algorithme, vendu comme révolutionnaire par Supercontinent permettrait de maximiser le bonheur des individus en limitant certaines émotions (comme la dépression ou la colère). Supercontinent promet, avec cette innovation, une nouvelle société, plus apaisée et un bonheur individuel assuré. Pourtant, cet algorithme pose aux joueur.es de nombreuses questions… Au fil des discussions entre Donovan et les employé.e.s de Supercontinent, le Bien-Être psychique généralisé paraît de plus en plus contestable. 

Le jeu, à travers le personnage de l’androïde Akara, fait choisir à lae joueur.e, la société qu’iel souhaiterait en lui faisant répondre à des questions telles que : est-il morale de réguler la dépression et l’anxiété ? Doit-on empêcher les suicides ? Est-il souhaitable de limiter la xénophobie, l’homophobie ? Tous ces choix sont déterminants car ils façonneront les nouveaux paramètres de l’algorithme Bien-Être psychique, si Akara arrive à mettre la main dessus… 

Représentation des femmes et des personnes LGBT+ 

[Contient encore plus de spoilers du jeu]  

The Red Strings club déploie toute une série de personnages féminins variés de la hackeuse à la PDG de Supercontinent. Les femmes travaillant à Supercontinent sont soit à des postes de pouvoir (directrice des opérations, directrice marketing, PDG) soit à des postes techniques (ingénieure, avocate). De plus, la directrice des opérations et l’avocate d’affaire sont racisées. En tant que joueuse, ça fait du bien de voir toute cette palette de personnages féminins ! Mais mise à part la représentation, on n’en sait pas plus sur la place des femmes dans l’univers de The Red Strings club (est-ce un futur plus égalitaire car on voit des femmes à des postes de pouvoir ? Ou alors la société est toujours aussi sexiste et raciste ?).

Les personnages féminins dans The Red Strings club, de gauche à droite : Ariadne (hackeuse), Diana Meyers (ingénieure), Naima Cosse (avocate d'affaires), Larissa Robillard (directrice marketing) et Johanna Sephis (directrice des opérations)

Dans la version anglaise du jeu, Akara, lae robot androïde n’a pas de genre défini (utilisation du they singulier pour lae désigner). Par contre, dans la traduction en français, le féminin a été choisi ! Je ne sais pas quelles sont les raisons de ce choix (une question de facilité?) mais je trouve dommage que le neutre n’ait pas été gardé. En soit, pourquoi des robots sentients produits à la chaîne dans une usine s’identifieraient tou.te.s au genre féminin ? (l’identité de genre est-elle alors programmable?). 

Quant à la représentation des personnages LGBT, Donovan, le personnage principal, est queer. On ne connaît pas précisément son orientation sexuelle mais s’il y a bien une chose qu’on en peut pas choisir dans le déroulé de l’aventure c’est l’histoire d’amour entre Donovan et Brandeis. En allant voir les avis laissés par les joueur.e.s sur différents sites, je me suis rendue compte que cet aspect du jeu fait rager certain.e.s qui sont mal à l’aise (homophobie bonjour?) que cette relation homosexuelle leur soit imposée. Et pourtant combien de jeux développe des personnages qui sont par défaut hétérosexuel.le.s ? Personnellement, j’ai beaucoup aimé cet aspect du jeu et je trouve que la relation entre Donovan et Brandeis rend l’histoire plus humaine. 

Autre personnage LGBT, Larissa Robillard, la directrice du marketing de Supercontinent, est une femme trans. Larissa est présentée comme étant hyper fêtarde, dragueuse, aimant le sexe et n’hésitant pas à en parler. Ce n’est que bien plus tard, dans la dernière partie du jeu, qu’on se retrouve à devoir chercher le deadname de Larissa ( - son prénom avant sa transition) qui est utilisé comme mot de passe pour avoir accès à un dossier d’Edgar, un scientifique de Supercontinent. Ce rebondissement a été critiqué par certaines personnes (cf cet article [anglais]) comme étant transphobe (pourquoi révéler l’identité de Larissa à travers cette recherche de mot de passe?). Jordi de Paco, membre de Deconstructeam, l’équipe qui a développé le jeu, justifie ce choix par le fait que « notre intention était d’ajouter de la visibilité et de rendre normal les personnages trans. Nous ne pensons pas que le scénario du jeu soit transphobe mais plutôt que le personnage d’Edgar est un connard qui est amoureux de Larissa et a gardé son deadname en mot de passe comme si c’était une sorte de trophée sordide » (cf traduction d’une partie de cet article [anglais]).

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The Red Strings club est un jeu riche en réflexions, qui développe une série de personnages diversifiés. Laissez-vous tenter par ce futur contrôlé par d’énormes entreprises, où les villes tentaculaires sont remplies de néons bariolés et où les habitants sont tous implantés… Vous pourrez, pendant environ 4h, tirer les ficelles de la contestation et empêcher les plans d’une multinationale ! 

 
Bande-annonce du jeu

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